De quoi les psychanalystes devraient-ils avoir honte ? |
sommaire du numéro 41 Automne 2018 |
Argument
Qu’on le veuille ou non, l’Opinion stigmatise la honte. Indice d’une parole muselée et signe de faiblesse, la honte et son corrélat de culpabilité embarrassent ou inhibent quand, dit-on, la parole doit se libérer. Cette parole qu’on veut éhontée fait feu de tout bois sur la place publique. Elle va du commentaire intempestif au témoignage en passant par la dénonciation. Est-elle alors la Bonne Nouvelle qui annonce l’émancipation exigible de nos sociétés démocratiques ?
Lacan, justement, à rebours de la clameur contemporaine, ne condamnait pas la honte. Il en fit même un éloge appuyé quand, dans L’envers de la psychanalyse, il l’opposait au pire, soit à l’impudence, et espérait que si les gens se pressaient aussi nombreux à son séminaire, c’est qu’il parvenait encore un peu à leur faire honte !
Si, comme l’indique Lacan, la honte relève du trou d’où jaillit le signifiant-maître, il s’agit de mesurer jusqu’à quel point on peut s’en approcher. Il y a la barrière d’un « je n’en veux rien savoir » dont rien n’indique qu’il puisse mener à la docte ignorance. Dès lors les psychanalystes devraient-ils avoir honte dans la mesure où ils n’ont pas à céder sur la honte qu’une psychanalyse découvre ? Et s’ils cèdent sur la honte, alors ils cèdent sur la psychanalyse. Peut-on dire alors qu’ils devraient avoir honte de ne pas avoir honte ?
Contrairement au discours du maître, aussi bien celui du philosophe, qui par l’ontologie fait consister l’être, le discours psychanalytique, tendu vers l’horizon du désêtre, convient plutôt à une « hontologie ». Il convoque donc la honte, et « gratinée » insistera Lacan. Celle-ci concerne autant l’analysant que l’analyste, même si différemment.
Pour l’analysant la honte affleure lorsque la chute des signifiants-maîtres, qui soutenaient ses identifications et l’assurance subjective qu’il prenait de son fantasme, met à découvert sa division. Quant à l’analyste, il n’est guère épargné quand son expérience lui impose d’oublier ce qu’il sait dans chaque nouveau cas, de faire avec « le bruit de fond de ses incertitudes », d’assumer un acte qui mène l’analysant à son horreur de savoir et de soutenir la cause du désir et sa destructibilité qui le voue, à terme, à chuter comme objet après avoir été aimé.
Sommaire
Jean-Marie Jadin
L’effet de honte de l’ontologie
Jean-Pierre Cléro
Réflexions sur un Eclaircissement de Pierre Bayle
Albert Nguyên
Aujourd’hui, humaine la honte
Sylvie Sésé-Léger
J’ai honte d’avoir honte
Stéphane Sanchez
Le réel en soi. De l’ontologie à l’hontologie
Sylvain Maubrun
Vertus de la honte
Catherine Gumuschian
De l’ontologie à l’hontologie, l’écart d’une lettre
Claudie Frangne
Du vide au trait : la racine du signifiant phobique
Jean-Pierre Cléro
Lacan et la langue anglaise
Gérard Guillerault
Lacan : l’appel fait aux femmes
Francis Hofstein
Passe vive
Béatrice Gaillard
Passion de l’ignorance
Jean-Louis Sous
Il a dit : « Gelassenheit ».
Lectures
Guy Le Gaufey
Du sujet en question. A propos de La volonté et l’action, d’Alain de Libera
Séverine Mathelin
A propos de La structure inconsciente de l’angoisse de Jean-Marie Jadin
Dominique Simonney
A propos de Qu’est-ce que rêver ? de Pierre Bruno
Simone Wiener
A propos de L’affaire Freud-Hirschfeld de Gloria Leff